Babouillec

Publié le par Récrés

Babouillec, autiste sans paroles et auteur de théâtre

 

Hélène Nicolas, alias Babouillec, et Arnaud Stéphan, metteur en scène. Philippe Renault.
Hélène Nicolas, alias Babouillec, et Arnaud Stéphan, metteur en scène.
© Philippe Renault.

Elle est restée murée dans le silence pendant vingt ans. Hélène Nicolas, 25 ans, a écrit un texte pour un jeune metteur en scène rennais, Arnaud Stephan. La pièce À nos étoiles est présentée au festival Mettre en scène de Rennes et au théâtre de Cornouaille à Quimper.

Pendant vingt ans, Hélène Nicolas n’a jamais communiqué, ni avec ses proches, ni avec personne. Autiste, privée de parole, la jeune femme était enfermée dans une bulle. Jusqu’à ce jour où sa mère s’est aperçue qu’Hélène savait lire et écrire.


Jamais scolarisée, c’est par ses propres moyens qu’elle a appris. Mais comme elle ne peut tenir un crayon, ni utiliser un clavier, elle communique avec des lettres écrites en majuscule sur des petits morceaux de carton, rangés dans une boîte en bois, qu’elle dispose un à un sur une feuille blanche.


Contrairement à beaucoup, qui aiment s’isoler pour écrire, Hélène a besoin d’être entourée, ou de son art-thérapeute, ou de son orthophoniste, mais surtout de sa mère dont elle recherche les encouragements, tête contre tête. Grâce à leur complicité de toujours, sa maman l’aide à retranscrire patiemment sur papier ses écrits éphémères.


Quand on demande à Hélène, aujourd’hui âgée de 25 ans, ce qu’elle ressent : « Tu questionnes ma mémoire murée, écrit-elle. Je vis votre sens du monde comme un énorme gouffre indéchiffrable. »


Look adolescent, un brin rebelle, la jeune femme, fan de Bertrand Cantat,  a écrit un texte qui a reçu les encouragements du Centre national du théâtre. Raison et acte dans la douleur du silence est compact comme un roman, signé Babouillec, autiste sans parole, un nom qu’Hélène s’est choisi à partir du diminutif Babouille, que lui avaient donné ses parents quand elle était petite et qu’elle peignait avec gourmandise.


Ce texte puissant, émouvant, n’est pas né par hasard mais d’une rencontre qui résonne comme un conte de fée moderne. « En 2007, j’ai croisé Arno, humainement ouvert à mon décalage spatio-temporel », écrit Babouillec, s’appliquant à sortir et poser une à une sur la table les précieuses lettres qui la relient aux autres.


Arno, c’est Arnaud Stephan, comédien, metteur en scène rennais. Ils se croisent par hasard en 2007 Au Bout du plongeoir, plateforme artistique où les artistes peuvent tester leurs créations de  manière informelle. Ce jour-là, le metteur en scène y mène une expérience théâtrale autour de la pièce  Agatha de Marguerite Duras. Hélène assiste pour la première fois à une pièce de théâtre, dans ce contexte atypique. Comme elle est une spectatrice vivante, active, sa mère n’avait jamais osé l’emmener dans une salle de spectacle classique.


À la sortie, Hélène écrit un texte de cinq lignes qu’elle montre au metteur en scène. « J’étais scotché, confie Arnaud Stéphan. J’ai voulu savoir si elle pouvait aller plus loin. »


« La pire place, rester dans le silence »


Ils s’écrivent, échangent des livres, puis ensemble, vont voir des pièces, jusqu’au jour où Hélène Nicolas demande à Arnaud Stéphan d’être son porte-parole. Elle veut lui rédiger un texte : « Tu le jouerais pour  nous, habitants des espaces oubliés, affamés d’esthétique et de rire », lui écrit-elle. En trois mois, naît Raison et acte dans la douleur du silence. « Un très beau cadeau. Ce n’est pas tous les jours qu’un auteur offre un texte comme celui-ci à un interprète, explique Arnaud Stéphan, séduit par la vision du monde de Babouillec, lucide, ludique et poétique. J’ai aussitôt eu envie de le faire entendre. »


Dans ces trente feuillets, la jeune auteure joue avec les sonorités, évoque l’enfermement : « Les minorités sont comme des étoiles dans le ciel, elles font briller le noir. On nous donne la pire place, rester dans le silence. » C’est un monologue, un poème dramatique, incisif, révolté. Il y est question d’autisme, de silence et de douleur. « L’autisme n’est pas une jungle, mais un désert édulcoré, écrit Babouillec. Je le sillonne chaque jour pour trouver la sortie. Aride est mon parcours. »


Arnaud Stéphan, devenu son allié et complice, y lit aussi « la condition de l’artiste dans la société d’aujourd’hui. » Pour lui, Babouillec est « un auteur, non une autiste qui écrit. Ce qui m’intéresse c’est son écriture, jeune, mais qui mûrit à vue d’oeil ». Babouillec est aujourd’hui auteur associé à la compagnie Indiscipline créée par Arnaud Stefan. À sa demande, un autre texte est en chantier, écrit comme un texte de théâtre, un véritable défi, un dialogue entre trois personnages. Babouillec, qui reste une énigme, explique : « J’ai reçu trop d’informations à la naissance, j’ai fermé toutes les portes ». Elle  va une nouvelle fois faire partager son regard sur le monde, acéré et humaniste.

 

Agnès LE MORVAN.  Maville.com

 


 

  

Publié dans Presse - Magazine

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